En
bonne guillaumienne, Dairine O'Kelly commence sa communication par le rappel
des présupposés théoriques indispensables à la compréhension de sa
démonstration: langue/discours, signifié de puissance et signifié d'effet,
temps d'univers et temps d'événement etc. Ce type d'entrée en matière
caractérise la plupart des écrits d'inspiration guillaumienne (je pense par
exemple à l'étude de Joly et Fraser sur les déictiques anglais) mais on
aurait tort de croire qu'il en est ainsi uniquement à cause de l'absence de
large diffusion des théories de Gustave Guillaume . A mon avis il s'agit
plutôt d'une conviction profonde des guillaumiens selon laquelle on ne peut
pas aborder l'étude d'un point particulier de la grammaire d'une langue sans
l'avoir située au préalable dans un corps de principes généraux qui
ressortissent à la théorie du langage ou à une théorie originale de l'analyse
des faits de langue et de discours. Il est un fait qu'il y a quarante ans -
ou presque- les analyses d'inspiration guillaumienne étaient les seules à
reposer sur une conception globale du fonctionnement du langage et des
langues , ce qui faisait leur force face aux analyses ad hoc que proposait la
grammaire descriptive. Cet apport théorico-méthodologique du guillaumisme est
toujours d'actualité, même s'il n'est pas - loin s'en faut- universellement
appliqué.
Cette
digression ne me fait pas oublier que je devais donner mon avis sur la
prestation de Dairine O'Kelly comme on va le voir
incessamment. L'auteur de la communication commence son exposé en rappelant
que c'est le linguiste canadien W.Hirtle qui le
premier a adapté les théories guillaumiennes au système verbal anglais et
plus particulièrement à la forme progressive, d'abord dans sa thèse intitulée
: "The English Verb System, an Essay in Psychomechanical Analysis",
puis quelques années plus tard dans une monographie dont le titre est :"The Simple and Progressive Forms. An Analytical Approach" (1967). D.O'Kelly apprend également à ses auditeurs que les travaux
de W.Hirtle ont donné lieu à un article d'André
Joly publié en 1964 par "Les Langues Modernes" (N° 3, mai-juin), à savoir "Esquisse d'une Théorie de la Forme Progressive".
Il
se trouve que j'ai entendu lors du Congrès de la SAES à Toulouse en 1963 la
communication d'André Joly qui allait être reproduite dans "Les
Langues" Modernes" l'année suivante . Je dois à la vérité de dire
que j'ai été très impressionné par la vigueur de l'exposé d'André Joly et par
les thèses qu'il a développées, d'autant plus que je ne savais pas grand'chose de Guillaume à l'époque. Pour ce qui est de Hirtle, j'ai "épluché" son essai "The Simple and Progressive Forms" lors de la préparation de ma thèse sur BE+ING
( on en trouvera un écho dans mon premier article
sur BE+ING : "BE+ING Revisited" (1973))
mais j'avais lu avec grand intérêt un article de lui publié dans "Les
Langues Modernes" en 1965 ou 1966 intitulé "Auxiliaries
and Voice in English".
Ceci
dit mon commentaire de l'exposé de D.O'Kelly sera
très bref : pratiquement rien de neuf par rapport aux écrits de Hirtle et Joly cités plus haut, c'est à dire grosso modo
que BE+ING relève de l'aspect non-achevé
(inaccompli) face à l'aspect achevé (accompli) signalé par les formes dites
"simples" du présent et du prétérit. On y retrouve également
l'opposition "partie/tout" mise en avant par Hirtle.Les
énoncés pris pour exemples sont d'une grande pauvreté et hors contexte et
l'on adhère toujours au parallélisme en trompe l'œil illustré par
Peter read a book
Peter was reading a book
Bien
entendu dans cette optique c'est le verbe seul qui est concerné par la forme
progressive, donc une perspective atomistique où relation et prédication
n'ont pas leur place. Ajoutez à cela une conception du déroulement de
l'action qui montre une confusion constante du grammatical et de
l'extralinguistique (chez Guillaume la distinction passé simple / imparfait
repose sur une différence de qualité du temps (temps incident/temps
décadent)). L'opposition permanent/provisoire se révèle incapable de rendre
compte des paires minimales Présent simple/Présent progressif surtout si on
se borne à discuter sur des data du type Mary
lives in Sidney /Mary is
living in Sidney (que faire alors de: I am living in Sidney permanently
now) ? Comment rendre compte dans ces
conditions d'une paire minimale de type classe de sixième :
On week-days I get up at six
I am getting up at six
tomorrow (so, be quiet!)
Bien
entendu la bibliographie comporte exclusivement les ouvrages qui vont dans le
bon sens, mais cela est hélas pratique courante dans la recherche
universitaire.
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