Le
titre de cette communication, qui renoue avec les approches dites
aspectuelles- celle de Hirtle en particulier qui a beaucoup opéré avec
l'opposition "partie/tout"- situe l'exposé dans le thème de la
Journée d'étude, à savoir "l'aspect BE+ING" (pour Claude Delmas
c'est BE & -ING qu'il faut
lire!). Cependant on ne peut pas dire que le contenu de la communication , à
une ou deux exceptions près, soit très "aspectuel" malgré l'effet
d'annonce du titre. De toutes façons ce n'est pas moi qui m'en plaindrais et
ce pour une raison bien simple: il n'y a pas deux intervenants dans cette
Journée consacrée à BE+ING qui aient la même conception du phénomène aspect
(et c'est vrai de toute la littérature aspectuelle!).
Le
mérite de Claude Delmas , par rapport aux contributions de P.Cotte ou de
D.O'Kelly par exemple, c'est de proposer des énoncés intéressants et de les
discuter. Prudent, il propose des solutions mais n'hésite pas à faire part de
ses interrogations. On aimerait que les tenants des différentes approches
proposent leurs analyses face à des énoncés réputés coriaces au lieu de se
contenter de généralités ou d'énoncés élémentaires pris hors contexte. Il
faudrait peut-être prendre conscience du fait qu'en 2001 la plupart des
manuels de 6ème calent sur des paires minimales du type présent
"simple" / présent en BE+ING !
J'ai
trouvé l'exposé très inégal : par exemple l'excursus du début -ING indice
d'une "opération" d'absorption ne m'a pas emballé, les
considérations sur la diachronie non plus (c'est trop ou pas assez). Pourtant
ces deux chapitres renferment des réflexions non dénuées d'intérêt. J'en
citerai deux :
1.
Parlant du sujet des
énoncés en BE+ING, l'auteur nous dit qu'il y a " redéfinition du
référent du sujet grammatical dans les termes d'une de ses propriétés
temporaires, ce qui le caractérise, le distingue". Oui, l'énoncé en
BE+ING est un énoncé sui generis qui ne saurait être mis naivement en
parallèle avec son homologue sans le marqueur BE+ING , un énoncé orienté vers
le sujet grammatical auquel est attribué un prédicat nominalisé par
l'intermédiaire de l'opérateur BE . De là découlent des conséquences
théoriques très importantes: le fait que -ING porte sur tout le groupe verbal
et non pas sur le verbe SEUL (ce qui met en cause tous les partisans de
l'aspect, notion mise en avant à une époque où il n'était pas question de
connexion (Tesnière) ni de relation prédicative ou de phème (J.M.Zemb) ), le
fait que l'énonciateur responsable de la soudure prédicationnelle doit
disposer du prédicat pour pouvoir l'appliquer au sujet grammatical (et c'est
là qu'interviennent des phénomènes comme situation ou anaphore , entre
autres, responsables de la saisie thématique du prédicat (ma phase 2)) .
2.
J'ai relevé une
métalangue hésitante (et pour cause) pour ce qui est de la notion d'aspect :
ainsi C.Delmas parle de "BE+ING à interprétation aspectuelle"(à
deux reprises page176) ou de "l'effet aspectuel" . Et si on allait
plus loin et qu'on voyait dans l'aspect un des effets collatéraux de la
prédication en BE+ING ? Je n'arrive pas à comprendre que des linguistes qui
ont parfaitement conscience de l'originalité constructionnelle des énoncés en
BE+ING n'arrivent pas à se débarrasser des vieux schémas où "l'action
exprimée par le verbe" dominait les analyses.
J'en
viens maintenant à la partie intéressante (à mes yeux) de l'exposé , celle où
l'auteur se coltine avec des énoncés qui n'ont cessé de faire problème
pendant des décennies. Mais d'abord un mot à propos de la notion de
"sécant". Ce terme m'a toujours irrité car il nous replonge dans le
déroulement de l'action, l'inachèvement etc. , toutes notions qui font écran
à une réflexion adéquate du problème (ce terme est particulièrement fréquent
chez les grammairiens du français , comme j'ai pu le constater lors du Forum
sur la grammaire française (Paris Octobre 2000)). Le match partie/tout est un
trompe-l'œil tenace : il est un lointain écho de mon vecteur
rhématique/thématique c'est à dire un vecteur où la saisie plurielle
(rhématique) s'oppose à la saisie singulière (thématique) : le rôle de -ING
est de signifier la fermeture du paradigme des choix , donc de rompre les
amarres avec le fonctionnement paradigmatique de la langue . Au lieu d'une
vision plurielle (une totalité ) on n'a plus qu'une saisie unique , imposée
par la situation , le contexte etc. ( une partie du tout). On a ici un
phénomène comparable à celui de THIS et de THAT: une vue simpliste a opposé
Proximité et Distance (je me souviens de Lyons qui utilisait Proximal et
Distal pour faire sérieux!) alors que si distance il y a elle se situe dans
le vecteur this-----that où THAT est le thématique de THIS.
Mû
par sa prudence habituelle C.D. propose deux exemples , deux énoncés qui lui
permettront de s'interroger sur la validité du couple partie/tout. Le premier
énoncé est un classique :on le trouve dans les manuels et les articles
savants depuis plus d'un demi-siècle et il est normal que je m'en sois emparé
à mon tour: :
1.
I have been painting the garage.
C.D. trouve à propos de cet énoncé (dont il
m'attribue l'analyse) qu"'il était encore plus difficile de parler de
"partie" de procès" que dans le cas de "You have been
watching Panorama" cité et analysé auparavant. Il aurait pu prendre des
exemples encore plus nets tels que:
-Your young man
has been ringing you up.
-Inspector Greg
has been asking for you.
Ou encore:
Has Buller been
killing a cat again?
2.
(23)b All I know is that something seemed to hit the back of my head;
and I was falling, falling, falling.
I thought I'd never hit the ground.
A
l'inverse de l'énoncé (1) ci-dessus, l'exemple (2) fait dire à C.D. qu''il
n'est pas facile de montrer que FALLING ne doit rien à l'inachèvement , encore
que", ajoute-t-il, "il s'agisse en fait d'une reconstitution,
produit de l'interprétation". C.D. a raison d'être prudent : ici sujet
de l'énonciation et sujet de l'énoncé sont confondus, plus exactement FALLING
est attribué à "I" de l'extérieur pour ainsi dire, il s'agit de
l'état du sujet grammatical tel qu'il a été intercepté par le sujet lui-même.
De la même façon on aura He was dying (drowning) face à He died (drowned)
pour qualifier l'état de HE au moment de l'énonciation, ce qui n'empêchera nullement
un énoncé tel que le suivant :
In Africa lots of people are
dying of AIDS every day.
Le
cas de FALLING me fait penser à l'objection qu'avançait John Lyons lors d'une
discussion à propos de BE+ING il y a une vingtaine d'années : comme preuve de
la valeur imperfective de la "forme progressive" il brandissait le
Going,
going, gone
du
commissaire-priseur ! L'exemple est bon, bien entendu, mais encore fallait-il
en trouver la clé et commencer par se demander si GOING et GONE étaient sur
le même plan, relevaient de la même analyse . Me viennent à l'esprit ici les
fameux énoncés-pièges (gare à la fausse symétrie!):
Somebody has been eating my
porridge
Somebody has eaten my
porridge
(La
constatation qu'il MANQUAIT du porridge a déclenché le premier énoncé , elle
n'a plus lieu d'être dans le second).
Pour
prendre un autre exemple, l'énoncé
No, thank you, I'm driving
prononcé
par un client ivre mort étalé par terre devant le bar , pour refuser le verre
que lui offre l'aubergiste, ne s'analyse pas autrement : il y a une relation
entre DRIVING et moi .
C'est
ce cas de figure qui est celui de l'énoncé (25):
(25) A- There's no bread,
Mum.
B- I'm bringing it.
Deux
énoncés reçoivent des gloses alors qu'on attendait une ANALYSE. Il s'agit de
de (27) et (29):
(27) Michael, I think you
are sitting next to Sir Harry (Michael n'a pas encore pris place)
(29) Subjects! So already I
was adopting the professor's vocabulary.
Je
me contenterai de dire ici que l'occasion était belle de faire mettre le
doigt aux agrégatifs (les destinataires des exposés) sur la compacité du
groupe verbal nominalisé et sur l'orientation de l'énoncé vers le sujet
grammatical . C.D. aurait dû veiller à ce que le gras englobe TOUT le groupe
verbal, pas seulement WAS ADOPTING.
Ma
remarque s'impose encore davantage dans le cas de l'exemple (26) que voici :
(26) She sent back her
wedding ring to him but they are still
getting married in September.
STILL
porte sur la soudure de la relation binaire
THEY / GETTING MARRIED IN
SEPTEMBER
Il
fallait donc montrer que -ING portait, lui, sur GET MARRIED IN SEPTEMBER et
non pas sur GETTING MARRIED, or on a mis en gras they are still getting married ( voir ci-dessus) et c'est tout,
faussant du même coup toute l'analyse.
L'exposé
se termine sur l'examen de deux énoncés, une paire minimale en fait, dus à
R.Langacker (Foundations of Grammar, Vol.1 Stanford (1987). Les voici :
a)- This road winds through
the mountains
b)- This road is winding
through the mountains
Ces
énoncés fabriqués reçoivent de la part de Langacker une explication de type
cognitiviste qui est loin d'être convaincante . J'ai montré il y a quelques
années la faiblesse de l'analyse de Langacker face à la paire minimale :
Mary resembles her mother
Mary is resembling her
mother more and more
Langacker
n'a pas fait mieux que Joos trente ans plus tôt : dire que IS RESEMBLING est
emphatique par rapport à RESEMBLES c'est d'une part en rester au plan du seul
verbe mis à la forme progressive et d'autre part ne pas voir que dans
l'énoncé en BE+ING c'est la notion RESEMBLE HER MOTHER qui est prédiquée de
HER MOTHER.
Ce
qui a été dit ici du fonctionnement de BE+ING devrait permettre à tout un
chacun de se faire une idée correcte de ce qui sépare ces deux énoncés.
Encore
une fois, ce qui me paraît important dans l'exposé de C.Delmas c'est le choix
des énoncés proposés à la réflexion certes mais surtout à l'analyse (je me
méfie des gens qui parlent de faire REFLECHIR les élèves sur telle ou telle
forme grammaticale : pour comprendre il faut des INSTRUMENTS D'ANALYSE !)..
L'ennui c'est que en une heure on ne peut pas dire tout ce qu'il y a à dire
et en grammaire tout se tient.
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