Paul
Larreya cherche la valeur fondamentale de BE+ING , c'est à dire , nous
confie-t-il dans son introduction- " en termes guillaumiens le signifié
de puissance dont sont dérivés tous les effets de sens de BE+ING" .Pour
l'auteur de l'article cette valeur fondamentale est une valeur aspectuelle : il s'agit à ses yeux d'une vision focalisante d'un événement qui
s'oppose à la vision globalisante
exprimée par les formes simples du présent et du prétérite .
D'emblée
deux remarques s'imposent : Larreya est à la recherche du signifié de
puissance du marqueur BE+ING ou comme il le dit plus loin dans une note de
"la valeur sémantique invariante". Ceci veut dire en clair qu'en
lieu et place d'une ANALYSE des opérations métalinguistiques qui sont à la
base de cette construction (ou de ce type de prédication) on aura des
étiquettes intuitives du type "focalisation", "identification"
, que sais-je encore. Dans ma thèse sur BE+ING (1976) j'ai d'une certaine
manière fait sortir Gustave Guillaume du petit cercle de ses disciples
proclamés en rendant hommage à la dichotomie valeur fondamentale (signifié de puissance) et effets de sens
mise en avant dans les écrits et les leçons de ce grand linguiste visionnaire
. Mais les conclusions auxquelles j'aboutissais dans ma recherche se
démarquaient nettement de la conception guillaumienne : pour moi , il n'y
avait pas de SIGNIFIE de puissance, de sémantisme fondamental mais un
INVARIANT FORMEL, des opérations métalinguistiques qui débouchaient sur une
structure sui generis de l'énoncé à partir de laquelle un calcul sémantique
original était possible. Par la suite , nombreux furent les thésards qui
confondirent allègrement les deux démarches. Tout dernièrement encore, au
Colloque International de Linguistique Anglaise de Toulouse (juillet 2000)
Wilfrid Rotgé , dans une communication qui ne manquait pas d'intérêt, partait
en quête d'un "core meaning" qui trahissait une confusion
regrettable des deux conceptions que j'ai rapidement esquissées ci-dessus.
L'article
de P.Larreya comprend deux grandes parties:
1.
La valeur fondamentale
de BE+ING
2. Les effets de sens de BE+ING.
Pour
l'auteur , ING exprime un point de vue sur l'événement désigné par le verbe
et ses arguments syntaxiques. Voilà une définition qui est devenue banale
depuis quelques années, c'est d'ailleurs la définition actuelle de l'aspect
où les notions de durée et d'inachèvement ont été revues à la baisse. La
"nouveauté" dans l'article que nous examinons ici c'est le fait que
Larreya inclue les circonstants du verbe dans le prédicat en -ING: c'est un
progrès par rapport au passé (mais l'auteur ne dit pas qui est à l'origine de
cette façon de voir les choses; pas un mot n'est dit à propos de la portée
de-ING qui est l'une des clés de ce problème). Ceci n'empêche pas Larreya de
reprendre à son compte la durée limitée (action temporaire) de Twaddell (mais
ce dernier n'a jamais prétendu fournir une analyse LINGUISTIQUE de la fameuse
construction!). Il faut noter que l'auteur reprend à son compte, totalement
ou en partie tout un e série d'étiquettes qui ont fleuri à propos de BE+ING
dans la littérature grammaticale: à commencer par l'opposition qu'il met en premier
Vision focalisante versus vision globalisante (le tout et la partie) qui ne
date pas d'aujourd'hui, le "coups de projecteur", le
"zoom" ou le "flash", la "saisie dilatatoire"
que Lapaire et Rotgé ont repris à leur compte après C.Fuchs et d'autres Culioliens).
Tout cela n'est pas de première fraîcheur et d'analyse point.
Côté
"effets de sens", Larreya en voit un qu'il qualifie d'archi-effet
de sens (tiens! Une autre "valeur fondamentale"?), à savoir la
valeur d'identification. Il s'agit en fait de ce qu'on a toujours appelé
valeur situationnelle , ce qui n'a rien de sorcier si on a attribué à
l'énonciateur le rôle premier dans la genèse des énoncés en BE+ING. Ici
Larreya s'en prend à la métalangue que j'ai utilisée il y a vingt ans pour
rendre compte de cet élément "situation" : j'ai dit en effet que
l'anaphore jouait un rôle important dans l'émergence de BE+ING et j'ai parlé
d'anaphore textuelle (le sens courant d'anaphore) et d'anaphore
situationnelle . Le but de l'opération était d'attirer l'attention du lecteur
sur le fait que dans les deux cas il s'agissait d'un repérage de
l'énonciateur, repérage à partir de la situation d'énonciation ou repérage
verbal , textuel .Ceci aurait dû permettre de comprendre que dans les deux
cas on avait affaire à du thématique, autrement dit que le prédicat en -ING
était imposé en quelque sorte par la situation ou le contexte. Ceci est une
querelle d'allemand car tout le monde a parfaitement compris que l'extension
sémantique que j'ai fait subir au concept d'anaphore était due à mon désir de
pointer pédagogiquement sur une valeur invariante ou une esquisse de valeur
invariante. Mais il faut que je précise que je n'ai jamais proposé une
explication de BE+ING basée sur la seule anaphore, textuelle ou
situationnelle (c'est un déclencheur parmi d'autres).Ce qu'il faut comprendre
c'est que l'anaphore permet de poser correctement le problème de -ING et donc
de parvenir à une explication authentique du fonctionnement profond de ce
marqueur. Tout le reste - et c'est le cas des propositions de Larreya-
revient à considérer la langue comme codage du monde et à retomber dans
l'assignation directe du sens : THIS exprime la proximité de l'objet, le
présent simple une habitude, l'imparfait français une vision sécante etc…
Il
faudrait reprendre chacun des énoncés commentés par Larreya pour montrer
l'inadéquation de sa présentation du fonctionnement de BE+ING . Pour
commencer l'archi-effet de sens d'identification s'effiloche très vite et se
banalise car , d'après notre auteur, la forme simple peut très bien, elle
aussi , relever de cette fonction : c'est le cas, nous-dit-on, de l'exemple
suivant :"I don't know what John does every morning from ten to twelve
at the Rose and Crown.Do you ?"-"Well, I suppose he chats up the
bar-maid". A la suite de quoi on nous dit que là où les deux formes sont
en concurrence, l'identification par BE+ING est plus spectaculaire (effet de
"coup de projecteur"). Pour Larreya les deux énoncés suivants :
Every time you use your car
you pollute the atmosphere
Every time you use your car
you are polluting the atmosphere
Reviennent
au même si ce n'est que la deuxième "se caractérise par une certaine
dramatisation: "on semble pointer un doigt accusateur pour montrer la
nature exacte d'un acte qu'on veut dénoncer". Eh bien , pas du tout ,
l'énoncé en BE+ING applique le prédicat nominalisé au sujet grammatical,
c'est ce sujet qui est dans le collimateur, c'est de lui qu'il est question
et non pas l'identification d'un acte qu'on veut dénoncer. Ceci me donne
l'occasion de reprendre ce que l'on peut lire dans une note au bas de la même
page où un excellent exemple , authentique reçoit une analyse totalement
inadéquate. Voici cet énoncé:
A-"You're not saying
much. You hardly do, you know, when I'm here."
B- "I 'm listening. I listen. I'm an écouteur" (P.Roth).
Pour
P.L. l'opposition entre I'm listening et I listen "est simplement
aspectuelle au sens étroit du terme", ce qui ne veut strictement rien
dire. En réalité on a affaire ici à une distinction très délicate mais
fondamentale , car elle conditionne la compréhension de ce qui distingue
vraiment le présent en BE+ING de l'autre , dit présent "simple"
(distinction que les manuels d'anglais de 6ème sont incapables
d'élucider à l'heure actuelle!) : LISTENING est attribué au sujet
"I" par l'énonciateur "I", l'énonciateur parle de
lui-même et il a besoin d'une forme grammaticale susceptible de permettre
cette qualification du sujet de l'énoncé (d'où la phase 2 de LISTEN) alors
que dans "I LISTEN " c'est LISTEN qui est la raison d'être de
l'énoncé, un LISTEN rhématique qui est le résultat d'un choix paradigmatique
ouvert. Me vien à l'esprit un énoncé entendu sur Skynews pendant la période
d'attente qui a suivi le vote du 5 novembre 2000 aux USA : imaginez le correspondant
anglais de Skynews à Washington commentant les péripéties rocambolesques de
l'après élection. On attendait ce jour-là le verdict de la Cour Suprême.
Suspense donc. Et l'envoyé spécial de conclure sa prestation par un :
"Still we wait"! Pourquoi n'a-t-il donc pas dit : Still we're
waiting ? Tout simplement parce qu'il ne parlait pas du sujet WE, qui était
sans intérêt, mais de l'ATTENTE.
Je
m'en voudrais de ne pas signaler l'épigraphe que P.L. a placée en tête de son
article où des formes en BE+ING et des formes "simples" se
succèdent en cascades et dont je me dois de donner un petit échantillon :
"Elsa comes into the
drawing-room. Paul gasps.She is wearing a flame-coloured crepe evening dress
with dark beads gleaming at the hem and wrists.She wears a necklace and
earrings made of diamonds and rubies…"
P.L.
fait référence à cet épigraphe à la suite de l'énoncé que j'ai analysé
ci-dessus et il écrit ceci: "On pourrait également s'interroger sur ce
qui différencie les emplois des deux formes dans l'épigraphe du présent
article". C'est peu mais c'était prudent car ce que Larreya dit à son
lecteur à props des valeurs de BE+ING ne pouvait en aucune façon venir à bout
de l'excellent épigraphe en question!
Tout
ce qui est dit à propos du caractère temporaire de l'événement dans les
énoncés en BE+ING déconcerte le lecteur car tantôt BE+ING marque le
temporaire tantôt , toujours selon P.L., il ne le signale pas. Toujours
est-il que l'énoncé N° 8 , à savoir :
(8) If you're living in Hong
Kong or Singapore, you'd better tune in to shorter frequencies.
P.L.
nous dit que cet énoncé n'implique pas que l'événement a un caractère
provisoire. On veut bien . Mais le commentaire qui nous est proposé est
totalement à côté de la plaque: ne nous dit-on pas que "l'emploi de BE+ING
a tout simplement pour but et pour effet de privilégier la valeur
d'identification " ? Et l'auteur de préciser, ce qui n'arrange rien, que
"il va de soi que l'identification porte non pas sur le procès LIVE mais
sur le circonstant "in Hong Kong or Singapore".
On
se frotte les yeux et on ne comprend plus rien: ne nous avait-on pas dit que
les circonstants devaient être inclus dans le prédicat? (voir supra) . C'est
donc le bloc nominalisé LIVING IN HONG KONG AND SINGAPORE qui est attribué
pour qualifier le sujet grammatical. On aurait à la rigueur pu admettre que
l'identification concernait ce même sujet!
Je
renonce à continuer ce petit jeu de massacre mais je suis contraint dire que
même une paire minimale anodine telle que la suivante :
Our train leaves at 7.24
Our train is leaving at 7.24
Reste
opaque magré les explications alambiquées de l'auteur . Nous voici revenus,
vingt-cinq ans après, à la joyeuse époque de la grammaire anecdotique.
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