Ronald
Langacker est connu principalement pour les deux volumes de son imposante
grammaire cognitive : "Foundations of Cognitive Grammar" (Vol .1 :
Theoretical Prerequisites (1987); Vol.2 : Descriptive Application (1991) , en
tout 1100 pages ), publiée par Stanford University Press. La première fois
que j'ai parlé de lui en DEA c'était à propos d'un article que j'avais trouvé
intéressant intitulé "Space Grammar" , dont je n'ai hélas plus les
références.
La
première remarque que l'on peut faire concerne le titre de la conférence :
n'est-il pas surprenant de voir le présent dit "simple" (!) retenu
comme sujet d'une conférence savante en l'an 2000 ? Je suis sûr que la chose
laisserait sans voix plus d'un professeur d'anglais de France et de Navarre!
Mais
revenons aux choses sérieuses. Je ne cacherai pas à mon lecteur que pour moi
qui ai lu Langacker (et d'autres linguistes se réclamant peu ou prou de la
grammaire dite "cognitive") cette approche de la grammaire n'est ni
plus ni moins l'héritière des approches traditionnelles, taxinomiques,
atomistiques et anecdotiques , et ce malgré la mise en place d'une
terminologie et d'une façon de faire (beaucoup de diagrammes par exemple) qui
se proclament innovantes. Ce que je constate , c'est que pour Langacker
L'ENONCE LINEAIRE EST LE MESSAGE , que la grammaire ne comporte ni structures
profondes ni chiffrement d'opérations abstraites ("Cognitive grammar
claims that grammatical structure is almost entirely overt"
op.cit.Vol.1,p.46). On va donc retrouver les pratiques les plus
traditionnelles , en particulier ce que j'appelle l'assignation directe du sens avec les "laundry lists"
d'effets de sens , simples étiquettes ne reposant sur aucune analyse
grammaticale sérieuse. On chercherait en vain l'ombre d'une relation
prédicative: ici il y a le GN sujet, le verbe et le reste. Les verbes sont
perfectifs ou imperfectifs, sémantiquement, ce qui obligera le grammairien à
des exercices d'équilibrisme lorsque le verbe imperfectif sera employé
perfectivement et réciproquement. Ceci n'est pas nouveau : on trouve la même
démarche chez les grammairiens des langues slaves qui s'accrochent eux aussi
désespérément à la dichotomie imperfectif/perfectif.
Dans
sa conférence Langacker veut montrer que le "present tense" mérite
son nom car il s'applique bien à l'expression de procès qui coincident avec
le moment de parole . On retrouve ici l'intuition de J.L.Austin qui a
contribué à remettre le problème -plus exactement une partie du problème- sur
le tapis : le présent "simple", qu'on avait relégué un peu vite (et
que l'on continue de reléguer dans nos classes de sixième!) à l'expression
des habitudes et des vérités générales, présente des emplois incompatibles
avec cette "explication". Il s'agit d'enoncés bien connus comme:
I order you to open that door
I promise that I will quit
smoking etc.
So
far so good , ces choses-là sont connues , même s'il n'est pas inutile de
faire remarquer que la juste constatation de Austin ne constitue en rien le
moindre début d'explication du fonctionnement global du présent. Langacker
propose des énoncés qui n'entrent pas dans la classe des performatifs, tels
que :
Now I raise my hand. Now I
lower my hand etc.
I pick up a sheet of paper
and I fold it in two…
Là
les commentaires se font beaucoup moins assurés, qu'on en juge:
"the speaker and hearer
are together in a fixed location, and report on actual occurrences they
observe in the world around them". Retour
à la grammaire anecdotique…
Très
vite la belle coincidence avec l'acte de parole s'effondre et il faut ramer
pour sauver la face: c'est ce que fait Langacker en proposant toute une liste
de "non-present uses of the present" :
Their plane arrives at noon.
Hamlet moves to center stage
.He pulls out a dagger…
First I take two eggs…
Il
est bien obligé de dire que ce qui est codé ici ce ne sont pas les
"actual occurrences of events", mais des "virtual
occurrences" qui, de façon très curieuse, "coincide with the time
of speaking".
Au
fond nous nous retrouvons exactement dans le schéma traditionnel à ceci près
que la valeur centrale y était dévolue à l'habitude au lieu d'être réservée
comme chez Langacker au présent "instantané". Voilà une belle
démonstration de la faillite d'une approche qui, au lieu de chercher une
ANALYSE LINGUISTIQUE des formes en présence se précipite sur un appariement direct des formes et des
événements du monde. Au fond , les intuitions de R.A.Close ("English
as a Foreign Languade"") ou de F.R. Close ("A Linguistic Study
of the English Verb") étaient plus parlantes et pédagogiquement plus
valables que les explications alembiquées du cognitiviste patenté!
On
ne sera pas étonné que des énoncés comme ceux que j'ai cités ci-dessus
restent inexpliqués et qu'un énoncé comme le suivant :
Nixon says farewell from the
steps of his helicopter
soit
renvoyé purement et simplement au "historical present"! Nihil novi
sub sole !
Quant
au "habitual present" des manuels traditionnels on va le retrouver
derrrière une formulation revue et corrigée. Un énoncé comme
The earth revolves round the
sun
est
classé parmi les "generalizations about the world's structure" . Il
en irait de même , je présume, de "the sun rises in the East" .
Bien
évidemment Langacker ne pouvait passer sous silence l'opposition Present
Simple / Présent Progressif. Les participants du Colloque ont là également
été cruellement déçus: ils ont eu droit en effet aux stéréotypes bien connus:
proès imperfectif non-borné versus procès perfectif borné . C'est ainsi que
la paire minimale
I am living/live in Chicago
exprime
l'opposition "temporary/permanent" . Comment va-t-il rendre compte
à ce tarif-là d'un énoncé comme
I am living in Chicago
permanently now ?
L'opposition
simple / progressif , il va de soi, ne porte que sur le verbe seul, et nous
voilà revenus au bon vieux temps où les choses étaient simples , diraient
certains de mes détracteurs! Oui mais, comment Langacker nous expliquera-t-il
l'énoncé qui figure à la page 6 de son exemplier:
Jason was worried. The
auditors were coming tomorrow ?
Me
revient à l'esprit un énoncé de F.R. Palmer qui avait semé la panique chez
les enseignants d'anglais :
I was leaving tomorrow, but
now I won't.
Mon
lecteur se reportera à mes écrits proposés in extenso dans les pages de ce
site , en particulier à l'analyse que je propose de la paire minimale:
I leave tomorrow / I'm
leaving tomorrow
Où
TOMORROW a le statut rhématique dans le premier énoncé (choix paradigmatique
ouvert) et le statut thématique dans le second(choix paradigmatique fermé;
-ING porte sur LEAVE-TOMORROW).
Dans
ma "Genèse et Développement d'une Théorie Linguistique" (Ed.la TILV
1996) j'avais déjà montré l'inadéquation de la grammaire cognitive de
Langacker face à une paire minimale qui avait fait l'objet d'une tentative
infructueuse vingt années auparavant (Martin JOOS 1964). Voici l'objet du
délit :
a)
The baby resembles his father.
b)
The baby is resembling his father more and more every day (chez Langacker
le sujet de ces uénoncés est J.P.) .
Ici
comme partout ailleurs le verbe est examiné isolément; on va donc essayer de
rendre compte de l'opposition resembles/is resembling. Tout ce que Langacker
nous dit c'est que que la deuxième forme est "plus emphatique" que
la première (ce que Joos avait lui-même dit en 1964). Voici le commentaire
verbatim de Langacker :
"RESEMBLE in (9a) (ici
(b) ) is inchoative and describes an increase in degree of similarity, in
contrast to the constant degree of similarity imputed by (6a) (ici (a)). Sans commentaire sauf qu'une prise en compte de la
portée de-ING tel que je le proclame depuis vingt-cinq ans montrerait de
façon lumineuse que dans l'exemple (b) il s'agit du prédicat RESEMBLE HIS
FATHER et non pas du seul verbe RESEMBLE.CQFD.
Langacker
va faire des efforts surhumains (mais vains) pour venir à bout d'une autre
paire minimale qu'il se donne aux pages 255-56 du premier volume de sa
"Cognitive Grammar"/
c)
this road winds through the mountains
d)
this road is winding through the mountains
Claude
Delmas a cité ces énoncés dans la communication que j'ai examinée plus haut
(Journée d'Etude) mais n'a pas stigmatisé l'absence de toute analyse
linguistique face au problème posé. Langacker essaie de s'en sortir en
faisant de WIND tantôt un verbe imperfectif tantôt un verbe perfectif, ce qui
ne résout rien même en admettant que cette pratique soit licite, ce qu'elle
n'est pas. L'auteur essaie également de faire jouer l'opposition partie/tout
, très souvent mise en avant de ce côté-ci de l'Atlantique.Toujours
l'assignation directe de notions sémantiques plaquées sur des formes
grammaticales qu'il faut avant tout analyser et non nommer.
L'assistance
s'attendait à ce que j'intervienne à l'issue de la conférence de Langacker :
tous les regards étaient braqués sur moi , on allait assister à une belle
empoignade. Je m'abstins de tout commentaire cependant, estimant que ma
propre conférence quelques heures plus tard allait me permettre toutes les
mises au point qui s'imposaien (voir le texte intégral de mon exposé plus
haut sous le titre : " The Architecture of English Grammar, from the
Theory of Phases to the Principle of Cyclicity".
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